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Événements

« Trente ans de décentralisation. Quel avenir pour l’action sociale et médico-sociale ? » - Retour sur notre colloque du 13 novembre 2014

Trente ans après la mise en œuvre d’une première vague de décentralisation, s’ouvre aujourd’hui la perspective d’une nouvelle réforme. On pourrait s’en réjouir car l’évolution sans précédent de la société française appelle une adaptation constante des pouvoirs publics. Mais à condition de s’appuyer sur une évaluation du passé et une vision opérationnelle de l’avenir. C’est à cet exercice que s’est livré l’Odas dans sa conférence du 13 novembre dernier qui a réuni près de 400 participants représentant tous les courants institutionnels. Retour sur le bilan de trente ans de décentralisation présenté lors de la matinée.

L’Odas a eu d’abord le souci de rappeler que les propositions ne doivent pas s’appuyer sur une vision exclusivement économique de la solidarité. Car les éléments constitutifs de notre modèle républicain ne sont pas seulement d’ordre économique. Ils sont également relationnels (fragilité des liens sociaux) et identitaires (perte des repères et valeurs). Or, si la définition des droits et des dispositifs sociaux, qui doivent être identiques sur l’ensemble du territoire, est indiscutablement l’affaire de l’État, c’est avant tout dans la proximité que les liens et les repères peuvent être entretenus. La réforme doit impérativement en tenir compte.
De plus, dans une période où les choix sont davantage dictés par le souci de résultats immédiats plutôt que durables, il faut se garder de privilégier la transformation des organisations sur la rationalisation des fonctionnements, la redéfinition des compétences sur la mise en synergie des efforts. Or, c’est le choix qui semble avoir prévalu dans la nouvelle réforme territoriale qui se caractérise notamment par la remise en cause du processus de départementalisation. C’est pourquoi à un moment où l’on admet partout que le principal rôle du conseil général porte sur le maintien de la solidarité, si précieuse en période de crise, on peut penser que l’analyse de trente ans de décentralisation de l’action sociale peut contribuer utilement à réorienter le débat.
C’est l’ambition du rapport de l’Odas présenté à l’occasion de la conférence du 13 novembre (publication prévue en décembre) pour nous aider à mieux mesurer si les départements ont su s’adapter aux nouveaux besoins d’une société en mouvement mais aussi s’ils ont su prévenir l’émergence des risques sociaux. Si, selon l’Odas, le premier objectif semble aujourd’hui atteint, les départements jouent maintenant leur avenir sur leur capacité à achever la restructuration de leurs modes d’intervention en direction de la prévention et du développement social.

table ronde

1. Action sociale : un développement maîtrisé

Parmi les diverses compétences transférées en 1983 aux départements officiellement reconnus comme collectivités territoriales de plein exercice, ce sont celles concernant l’action sociale qui donnèrent lieu au plus grand nombre de controverses. Plus précisément, les craintes portaient sur l’intérêt des élus sur les questions sociales, le maintien d’un lien entre besoins et réponses, la préservation du principe d’égalité et la reconfiguration des priorités d’intervention. L’établissement du bilan de la décentralisation passe donc par la réponse à ces interrogations.

La solidarité est-elle prioritaire dans les budgets départementaux ?
Alors que les budgets des régions sont principalement affectés à l’investissement, les budgets des départements ont une structure comparable à celle des communes, avec une section de fonctionnement prépondérante : plus de 60 % dans les deux cas. Or, de façon constante depuis 1995, les dépenses d’action sociale représentent plus des deux-tiers des dépenses totales de fonctionnement des départements, hors épargne. Toute évolution dans les dépenses d’action sociale a donc une répercussion importante sur l’ensemble du budget départemental, tant pour ce qui concerne la section de fonctionnement que la section d’investissement.
C’est cet impact important sur le reste du budget qui a longtemps fait craindre que les départements acceptent mal les contraintes financières de l’action sociale au motif qu’elles ne pouvaient s’accroître qu’au détriment de la capacité d’équipement et donc du développement économique. Or l’analyse rétrospective de ces trente dernières années montre que ces craintes étaient excessives. En effet, les dépenses sociales ont progressé au même rythme que l’ensemble des dépenses, pour passer de 5,5 milliards d’euros en 1984 à 33,6 milliards en 2013. Et ce malgré les difficultés financières des départements. On peut donc dire que la mobilisation des ressources départementales en faveur de l’action sociale n’a pas été sacrifiée contrairement à tous ceux qui pensaient que les élus locaux s’en désintéresseraient faute d’impact électoral. Et d’ailleurs ce sont les dépenses les moins “électoralistes” qui ont le plus progressé.

Claudine Padieu

Les choix d’action sociale sont-ils déterminés par l’évolution des besoins sociaux ?
La forte évolution de la dépense d’action sociale s’explique en partie par l’évolution de la réglementation. Mais, les orientations des élus départementaux pèsent aussi considérablement sur l’évolution des dépenses dans des domaines où les choix n’étaient pas contraints. C’est pourquoi, il n’est pas sans intérêt de relever que lorsque l’on analyse la restructuration des budgets d’action sociale départementale on est frappé par la concordance entre l’évolution des dépenses et l’émergence de nouveaux besoins.
Ainsi, dans le domaine du handicap, sous l’effet conjugué de la forte progression des besoins de la population, mais aussi des nouvelles attentes des familles concernées bien relayées par le monde associatif, les conseils généraux ont autorisé dans ce domaine la création de nombreuses structures et services, aboutissant au doublement du nombre de places offertes dans les établissements et services.
La dépense ayant été multipliée par neuf, il a alors fallu effectuer des choix plus contraignants pour d’autres publics, ce qui n’est jamais facile, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de publics influents sur le plan électoral. C’est le cas notamment pour la dépense concernant les personnes âgées qui est passée, entre 1984 et 2013, de 24 à 20 % de la dépense d’action sociale départementale. En effet, avec l’accroissement des revenus des personnes âgées, les départements ont eu la possibilité de réajuster leur niveau d’intervention et de la réorienter vers le soutien à la perte d’autonomie.

Les inégalités entre départements se sont-elles aggravées ?
Alors que l’on pouvait craindre que la progression des budgets sociaux dans le cadre de la décentralisation ne s’accompagne d’un renforcement des inégalités d’offre de services entre départements, c’est l’inverse qui se produit. Indiscutablement, l’analyse de l’évolution des dépenses de l’ensemble des départements permet de constater l’existence d’une tendance à la convergence des dépenses d’autant plus significative qu’elle concerne notamment des secteurs assez peu encadrés par la réglementation nationale (personnes handicapées, enfance en danger).
Ainsi, pour prendre le même exemple que précédemment, c’est dans le secteur de l’hébergement des personnes handicapées, où la croissance des dépenses a été la plus forte, que cette réduction des inégalités est la plus significative. L’indicateur de dispersion des dépenses passe en effet de 2,2 en 1984 à 1,7 en 2012. La dispersion a donc régressé de 25 % environ.
On peut donc relever face aux détracteurs de la décentralisation que le système décentralisé peut comme le système centralisé produire ou réduire les inégalités. La norme n’y est pour rien, en l’occurrence c’est la proximité des décideurs et la prégnance des besoins qui expliquent le renforcement de l’unité malgré la reconnaissance de la diversité.

Les départements conservent-ils des marges de manoeuvre ?
Il reste que la capacité de choix des départements est fortement ébranlée aujourd’hui par les transferts de compétences qui ont eu lieu ces dernières années. En effet, les départements ont été chargés de gérer et de financer des prestations dont les règles de délivrance sont fixées par le législateur. Ce qui revient à leur confier des compétences sans leur confier les pouvoirs correspondant, tout en les contraignant à financer ces prestations.
La création de l’Apa en 2002 et de la prestation de compensation du handicap (PCH) en 2005 traduit cette évolution dans le domaine du soutien à l’autonomie. Mais c’est surtout le transfert du financement du RMI-RSA en 2004 qui restreint la liberté d’initiative des départements. Leur avenir est donc lié à l’évolution des rapports avec l’État qui peut s’avérer prometteur si l’on en croit la déclaration du Premier ministre sur une éventuelle renationalisation du financement du RSA.

>Pour en savoir plus : consultez les tableaux concernant l’évolution des dépenses d’action sociale départementale de 1984 à 2013 présentés lors du colloque.

2. Développement social : un repositionnement difficile

Alors qu’un département sur deux se déclare déjà engagé dans le développement social, c’est bien dans le passage à sa mise en œuvre opérationnelle que les difficultés se révèlent. Les acteurs départementaux se trouvent d’abord confrontés à la nécessité de prendre en compte des injonctions contradictoires. Ils doivent gérer de plus en plus de dispositifs (Apa, RMI-RSA, MDPH, PCH, informations préoccupantes, majeurs protégés…) au moment où l’extension de la vulnérabilité dans ses divers aspects incite à la multiplication des actions préventives.

La difficile restructuration du travail social
Certes les départements ont eu le mérite d’organiser la territorialisation de leurs services sur des critères stratégiques. Des territoires infra-départementaux ont été définis à partir de critères socio-démograpiques pour que les réponses soient adaptées à chacun d’entre eux. En outre, ces territoires sont identiques, quels que soient les services, alors qu’avant la décentralisation chaque service bénéficiait d’un découpage particulier. De plus, les services sont presque partout regroupés autour de missions transversales : le soutien à l’autonomie, le soutien à l’enfance et à la famille, l’insertion.
Mais sur le terrain fonctionnel les difficultés apparaissent, tout particulièrement en ce qui concerne le travail social. Tout d’abord, la charge de travail dédiée à l’accueil et à l’accès aux droits représente en moyenne un quart du temps de travail des assistants de service social, bien que de nombreux départements affectent également du personnel administratif à la fonction d’accueil. Le travail social est par ailleurs profondément touché par l’obligation d’évaluation liée aux dispositifs (RSA et protection de l’enfance – informations préoccupantes – notamment). En moyenne, un tiers du temps des assistants de service social est consacré à ce travail de diagnostic et d’évaluation. Il ne reste donc qu’un tiers du temps de travail pour la fonction d’accompagnement, alors qu’il s’agit de sa toute première responsabilité. Il en résulte un faible développement des actions collectives (6 % du temps de travail), qui peut aussi trouver son origine dans les difficultés du partenariat indispensable à la mise en oeuvre du développement social.

Les atermoiements du partenariat
Alors que la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales positionnait explicitement le département comme “chef de file” de l’action sociale, les diverses évolutions réglementaires ont plutôt contribué à déstabiliser le département dans sa fonction prospective et sa mission d’animation du territoire. C’est pourquoi l’analyse des relations entre le département et ses partenaires est utile. Il faut d’abord relever l’impact positif de l’enracinement des départements dans l’action sociale et la mise en œuvre de réformes importantes sur la protection de l’enfance et le soutien à l’autonomie. D’après trois quarts des départements, la qualité des relations s’est maintenue, voire légèrement améliorée, avec la Justice et les organismes de protection sociale.
En revanche, alors que la collaboration avec les villes s’avère décisive pour concrétiser un repositionnement stratégique sur le développement social, celle-ci s’avère particulièrement perfectible. En effet, seul un tiers des villes trouve suffisante l’articulation entre les politiques municipales et départementales en matière d’insertion et de soutien à l’autonomie par exemple. Un constat partagé dans les mêmes proportions par les départements, avec seulement 10 % d’entre eux qui déclarent des partenariats formalisés que ce soit sur les politiques d’insertion, de soutien à l’autonomie ou à l’enfance et la famille.
On est donc encore très éloigné de la construction d’un partenariat stratégique qui ne peut naître que d’une observation partagée, clé de voûte du partenariat d’action.

Une dynamique d’observation en quête de sens
C’est d’autant plus concevable que l’observation sociale se développe. Plus d’un département sur deux déclare avoir mis en place une démarche d’observation permanente concernant la totalité du champ des solidarités. De plus, la plupart des départements affirment avoir mis en place au moins une démarche d’observation, sectorielle, territoriale ou plus large, pour définir leurs nouvelles réponses.
Mais l’existence d’une démarche d’observation ne signifie pas toujours que le travail effectué porte sur le repérage des besoins, qu’ils soient sociaux, relationnels ou éducatifs. Quant au partenariat d’observation, s’il se développe, il se limite très souvent à de simples échanges de données : les diagnostics sont encore peu partagés et l’appropriation de la démarche par la définition partagée des objectifs est encore plus rare.

En conclusion, l’Odas relève que, depuis une trentaine d’années, les départements n’ont cessé d’investir des ressources considérables dans le domaine social, tout en réussissant à diversifier l’offre sociale et médico-sociale, sans accroître pour autant les inégalités de réponse entre territoires. Bien au contraire, sous la pression des besoins sociaux, ceux qui avaient fait beaucoup ont réduit leur effort, ceux qui avaient fait moins, l’ont accentué. Il n’en reste pas moins que la réussite de la décentralisation de l’action sociale ne peut reposer sur sa seule capacité à préserver l’égalité des chances. Elle repose aussi sur sa capacité à exprimer la diversité territoriale française.
C’est pourquoi l’ampleur et la qualité du mouvement infradépartemental de territorialisation de l’action sociale peuvent surprendre, d’autant plus qu’il s’accompagne d’une volonté de dépasser le cadre strict de l’action sociale à connotation essentiellement réparatrice pour s’engager progressivement dans le développement social à connotation principalement préventive.
Il faut donc espérer que ces divers constats permettent de faire évoluer le projet actuel de réforme, en partant d’une vision mieux définie de la finalité de la décentralisation et en s’appuyant sur une évaluation approfondie des forces et faiblesses des départements. Un troisième acte de la décentralisation ne peut se justifier que s’il aboutit à renforcer l’efficacité économique des pouvoirs publics sans pour autant affaiblir les mécanismes de la solidarité.