Quel acte II pour le RMI ?
Chacun l’affirme au-delà des clivages politiques, la France est riche de sa cohésion sociale. C’est ce qui explique que le RMI ait fait l’objet, lors de son adoption en 1988, d’un large consensus. Mais depuis toujours, des inquiétudes existent sur le lien entre RMI et emploi. Or ce questionnement s’effectue souvent dans un contexte de polémique, sans s’appuyer sur une observation rigoureuse.
C’est pourquoi, en 1997, l’Odas s'était impliqué, avec le concours des experts les plus qualifiés, dans une première étude sur le RMI comparant les revenus du SMIC et du RMI pour vérifier si l’emploi peu qualifié restait attractif sur le plan financier1. Cette étude avait montré pour la première fois la nécessité d’aménagements complémentaires dans les prestations sociales, pour éviter les effets de seuil, et dans la réglementation sur l’intéressement, pour le rendre plus lisible et plus performant. Mais surtout, de façon générale, cette étude avait montré que la crise du RMI était avant tout liée au développement massif de l’emploi précaire (emplois à temps partiel, intérim, CDD courts...). En conséquence, l’Odas insistait notamment sur l’urgence d’une offre d’insertion plus ambitieuse.
Pourtant, les différentes réformes introduites entre 1997 et 2002 n’ont pas suffi à redynamiser le dispositif. En effet, il s’essouffle. La moitié seulement des bénéficiaires du RMI ont un contrat d’insertion. La moitié des bénéficiaires sont dans le dispositif depuis plus de 3 ans et 30% depuis plus de 5 ans. Plus de la moitié ne sont pas inscrits à l’ANPE.
Cette situation est d’autant plus regrettable qu’elle produit deux effets pervers qui déstabilisent le rapport de chacun au « vivre ensemble ». D’une part, elle tend à accréditer dans l’opinion la thèse selon laquelle le RMI constituerait un frein à l’emploi et au développement économique2. Certains y voient même une des causes du sentiment d’abandon des salariés à bas revenus. D’autre part, elle tend à accentuer l’isolement de certains ménages. Or on sait que le lien social constitue l’un des fondements de la prévention primaire des risques sociaux3.
Pour toutes ces raisons, il convient maintenant d’explorer des voies plus audacieuses pour retrouver l’esprit initial de la loi de 1988, qui s’articulait autour des principes suivants : le RMI est un droit objectif essentiellement financé par la solidarité nationale, qui en fixe les critères d’accès ; le RMI s’inscrit dans une vision de la solidarité faisant appel à la responsabilité, ce qui nécessite d’établir un lien étroit entre allocation et insertion ; le RMI ne doit pas favoriser une désincitation à l’emploi et peut au contraire contribuer à le réguler.
C’est dans cette perspective que l’Odas s'est engagé cette fois dans l’analyse des principaux dysfonctionnements du dispositif constatés sur le terrain, afin de proposer des pistes d’amélioration. Pour y parvenir, il a réuni une commission composée d’acteurs divers et reconnus engagés concrètement dans la mise en œuvre du RMI. Le but était d’opérer collectivement une synthèse des évaluations nationales et locales existantes, en l’enrichissant des expériences propres à chacun, afin d’obtenir la plus large adhésion possible dans les propositions4.
Ces travaux ont été guidés par le souci d’encourager l’implication et la créativité de tous les acteurs locaux dans le processus de réforme afin de permettre une réelle adaptation aux contextes locaux. C’est pourquoi, les propositions dégagées sont avant tout des principes d’action que la commission souhaite voire soumis à expérimentation, avant toute généralisation éventuelle.
Il ressort de ces travaux que la nouvelle étape de la décentralisation peut constituer une chance pour une réforme du RMI qui passerait par la clarification des responsabilités et la promotion d’une offre d’insertion élargie. A un moment où s’affirme une nouvelle vision de l’action sociale axée sur le développement social local qui vise à mobiliser, au-delà du « social », toutes les forces vives d’un territoire, on pourrait confier plus explicitement la pleine responsabilité du volet insertion du RMI aux Présidents de Conseils généraux, qui devront s’appuyer davantage sur les autres collectivités locales et institutions concernées. Car si l’intégration sociale relève bien sûr de l’engagement personnel de chaque allocataire, elle dépend également des convictions, des compétences et de la capacité d’innovation de tous les acteurs de l’insertion.
Plus précisément, la commission a pu dégager des pistes pour une clarification des responsabilités (1ère partie) qui devrait permettre un renforcement de l’offre d’insertion locale (2ème partie).
1 Claudine PADIEU, RMI et SMIC. Étude sur l’apport financier de l’accès à l’emploi par types de ménages, Les cahiers de l’Odas, Paris, mars 1997. Cette étude a été réalisée par l’Odas, avec la collaboration de Jean-Michel CHARBONNEL, économiste, et d’un comité de pilotage animé par Claudine PADIEU, Directeur scientifique de l’Odas, composé ainsi : Cédric AFSA, Responsable du bureau des prévisions, Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF) ; Catherine BORREL, Chargée d’études au service des Statistiques, des Etudes et des Systèmes d’Information (SESI), ministère du Travail et des Affaires Sociales ; Chantal CASES, Chef de la division Services INSEE ; Yvon GUILLERM, Chargé de mission à la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale ; Guy NEYRET, Inspecteur général de l’INSEE ; René PADIEU, Inspecteur général de l’INSEE ; Annie RATOUIS, Chargée de mission au commissariat général du Plan ; Pierre- Yves REBERIOUX, Chargé de mission à la Délégation Interministérielle au Revenu minimum d’insertion (DIRMI), ministère du Travail et des Affaires Sociales ; Jean-Marie SAUNIER, Chargé d’études au SESI, ministère du Travail et des Affaires Sociales.
2 Ainsi le baromètre annuel du CREDOC, « Conditions de vie et aspirations des français », cité dans le rapport 2001-2002 de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion sociale, fait apparaître une progression régulière de la défiance vis à vis du RMI. En effet, alors que 69% des personnes interrogées pensaient en 1989 que le RMI « donne le coup de pouce nécessaire pour s’en sortir », ce chiffre tombe à 43% en 2001. A contrario, alors que seulement 29% d’entre elles estimaient en 1989 que RMI « risque d’inciter les gens à s’en contenter et à ne pas chercher de travail », ce chiffre s’élève à 52% en 2001.
3 Les enquêtes de l’Odas montrent par exemple que l’inactivité constitue une source de danger pour l’enfant, plus particulièrement dans les familles monoparentales.
4 Les travaux de la commission « RMI et insertion » se sont déroulés de mai à novembre 2002, avec trois réunions plénières (détermination des objectifs et validation de l’avancée des travaux) et quatre réunions de sous-groupes, deux sur l’organisation du dispositif et deux sur la production de l’offre d’insertion. En outre, une enquête sur site a pu être organisée en Ille-et-Vilaine, grâce à la forte collaboration de l’Etat, du Conseil général et de la Ville de Rennes.