GUADELOUPE : avec l’Odas, les Abymes font vibrer le Vivre-ensemble
La question du vivre-ensemble ne se pose pas seulement dans la vieille Europe mais aussi de façon de plus en plus inquiétante en Outre-mer avec la progression des incivilités et parfois même de la criminalité. C’est pourquoi, lancés à l’initiative des élus de la ville des Abymes, en collaboration avec le Collectif appel à la fraternité et l’Odas, les premiers Ateliers du Vivre-ensemble et de la Fraternité de Guadeloupe qui se sont tenu les 5 et 6 décembre 2013 étaient très attendus. Durant deux jours, élus (conseillers régionaux, généraux, municipaux), responsables associatifs, étudiants, simples citoyens ont ainsi multiplié les prises de parole. Tant pour faire partager leurs constats sur la société guadeloupéenne que pour tracer des pistes d’avenir. En ce sens, ces Ateliers ont atteint leur but avec une véritable efflorescence de propositions.
Il est vrai que ces deux journées avaient été longuement préparées. Elles venaient conclure une année entière consacrée par la Mairie au thème “Ensemble, faisons vivre les solidarités”.
Après les premiers contacts établis avec le Collectif du Vivre-ensemble et de la Fraternité deux ans auparavant, Éliane Guiougou, adjointe au maire, vice-présidente du CCAS, a provoqué la formation d’un noyau informel de leaders parmi les élus et les cadres. Ce groupe placé sous l’autorité de Roseline Lubin, directrice générale du CCAS, a ensuite formalisé d’une manière plus conventionnelle la répartition des tâches et mené les différentes étapes en collaboration avec le Collectif : réflexion stratégique, identification des axes de travail, mobilisation interne et externe, jusqu’à l’organisation de l’événement… Des “pré-ateliers” avaient notamment été organisés en septembre dernier, pour affiner le programme définitif des Ateliers et susciter la réflexion sur trois thèmes : la place des jeunes dans la cité, les liens intergénérationnels et l’implication citoyenne.
Jeunesse : éclaircir un avenir orageux
Il est certain qu’avec un taux de chômage de l’ordre de 45 % chez les moins de 30 ans, la situation de la jeunesse est particulièrement préoccupante. Aux mécanismes contemporains de repliement versl’abstraction (jeux vidéo, réseaux sociaux…) s’ajoutent des maux spécifiques à l’archipel, dont celui de la toxicomanie, les Caraïbes constituant une plaque tournante du narco trafic latino-américain vers les USA et l’Europe. De nombreux participants sont intervenus pour souligner les dérèglements du fonctionnement traditionnel de la famille, dont la disparition du repas familial : “Le repas constituait un moment d’échanges, parfois dans le conflit. Dorénavant, faute de se parler, les enfants ne comprennent plus les parents et les parents ne comprennent plus les enfants”. D’où un flot de suggestions allant de la garde d’enfants partagée entre parents à la mis e en place de “pédibus” et surtout la création de lieux de rencontre entre ados et adultes en dehors du foyer familial. Concernant les jeunes adultes, la dimension existentielle a été abordée de front : “Même diplômés, les jeunes se sentent face à un mur et ne ressentent pas d’utilité sociale. Ce qui explique à la fois la dégradation du lien social et la progression de la délinquance”. Un obstacle essentiel que les participants se sont accordés à ne pouvoir franchir que par une meilleure connaissance de l’autre : “C’est par le dialogue que l’on comprendra mieux les attentes, pas par enquêtes…”. De la même façon qu’ont été fortement contestées les catégorisations imposées par les prestations sociales, dans la mesure où “les problèmes des 30-35 ans sont souvent les mêmes que ceux des post-ados”. Plusieurs suggestions concrètes ont été avancées : faire renaître en l’améliorant grâce au concours d’adultes insérés la pratique des “grands frères” ; créer sur Internet une liste des personnes ressources par quartier pour qui veut se renseigner sur un emploi, un voyage, une activité temporaire… ; organiser un “accueil familial” d’une ou deux semaines pour les jeunes dont la vie en famille se dégrade et se trouve en risque de rupture.
La Croix-Rouge s’est proposée pour favoriser l’apprentissage du civisme en famille, par exemple à travers des stages familiaux d’initiation au secourisme. Une façon de réapprendre le bénévolat à tous les âges de la vie. Pour sa part, l’association Kazabok a rappelé les vertus de l’insertion via le développement durable en détaillant des actions permettant aux jeunes de se réancrer au réel, notamment à partir du travail sur des matériels de récupération (vêtements, mobilier, appareils électriques, électroménager...). Enfin, la création de logements partagés entre personnes âgées et jeunes générations est apparue non seulement comme une réponse sociétale appropriée, mais aussi comme une solution aux difficultés de logement, et donc d’autonomisation des jeunes.
Mobiliser toutes les forces sur l’intergénérationnel
Au nœud des interrogations des Guadeloupéens sur l’avenir des rapports sociaux, la question intergénérationnelle s’affirme en effet avec de plus en plus d’acuité. On aura compris qu’un fossé se dessine avec les plus jeunes. Et même si les traditions familiales se maintiennent (le taux d’hébergement en Ehpad est l’un des plus faibles de France), de nouvelles inquiétudes se font jour, avec la multiplication des actes de délinquance à l’encontre des personnes âgées, la montée de la maltraitance et surtout un accroissement de la solitude.
C’est pourquoi une part importante des engagements de la Ville sera consacrée à l’intergénérationnel [voir encadré plus bas]. Avec pour préoccupation opérationnelle le souci que les actions menées le soient de façon transversale, et impliquent non seulement les différents publics mais aussi l’ensemble des services publics et des associations. Les travaux sur la démocratie participative –justement rebaptisée “implication collective” - ont donné lieu à des considérations particulièrement pragmatiques, bien loin des envolées lyriques qui ponctuent à l’ordinaire ce genre de débat. Trois pistes essentielles ont été retenues. En premier lieu, les participants ont souhaité voir se développer le “diagnostic en marchant”, concept éminemment apprécié localement, dont on trouve peu d’illustrations de la même ampleur en métropole. Par ailleurs, ils ont concrètement émis le souhait de voir s’élargir le recrutement du Conseil des Aînés et de faire évoluer son rôle vers davantage de consultation, d’interpellation des élus, et de constituer une véritable chambre de propositions. Enfin, une préoccupation inattendue a surgi : le besoin d’évaluer l’action des associations, pour éviter le saupoudrage des subventions et tendre à l’efficacité.
Le partenariat ? Jouer ensemble la même musique !
Au total, ces Ateliers auront surtout été marqués par une profonde détermination à ne pas laisser la gangrène de l’indifférence ronger le tissu social. Une volonté unanimement soulignée lors de la table ronde inaugurale, au cours de laquelle le Conseil régional et le Conseil général ont déclaré leur soutien plein et entier à la démarche dont, par la voix du maire de Pointe-à-Pitre Jacques Bangou, la Communauté d’agglomération Cap-Excellence s’est déclarée ipso facto partie prenante. Le partenariat semble pourvoir s’organiser ici hors des habituelles querelles de territoires institutionnels : “Nous sommes condamnés, ensemble, à réussir”. Dans un souci permanent de transversalité, comme l’a plusieurs fois souligné Éliane Guiougou.
C’est ainsi que, dans un contexte riche en métaphores musicales, un participant n’a pas hésité à lancer en créole “Si nous mettons tout cela en musique, nous aurons un bon son”.
Ponctués d’interventions parfois graves mais toujours étayées, les Ateliers ont aussi connu quelques moments de grande joie, avec la prestation surprise de danseuses et de chanteuses de l’une des associations appelées à témoigner ! De profonde émotion aussi,avec l’annonce en pleins travaux du décès de Nelson Mandela. Comme par un signe du destin, les Ateliers se déroulaient précisément à la jonction du boulevard des Héros, jalonné par les statues de Delgrès et de la mulâtresse Solitude du côté des Abymes, et du boulevard Neslon Mandela du côté Pointe-à-Pitre ! Reste à savoir si la ville, ses institutions partenaires et les associations sauront mener à bien un programme d’engagements aussi ambitieux que celui qui a été arrêté. D’ores et déjà, la ville et le Collectif envisagent la mise en place d’un groupe de suivi. Son rôle ? Évaluer les avancées sur les différents engagements, étudier les obstacles rencontrés, corriger certains des objectifs fixés. Sans oublier que Les Abymes doit jouer un rôle pilote vis-à-vis des autres collectivités d’Outremer en refusant les blocages sociétaux qui privent les sociétés riches d’une exaltante vitalité. ■
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